En fait, nous n’étions pas tout à fait à Moab, mais à une vingtaine de minutes de route, tout près du parc national de Canyonlands dans l’état de l’Utah. L’idée, c’était de nous éloigner au maximum de toute source de lumière : notre guide Alex, armé d’un télescope allait nous fournir des explications sur ce qu’on pouvait espérer voir en tournant nos yeux vers le ciel et en le collant à l’oeillette de son télescope.
C’était une première pour nos filles. Richard et moi avions eu la chance de participer à une sortie un peu semblable il y a plus de dix ans, en Australie, à quelques minutes de bus du fameux monolithe Uluru (ou Ayers Rock). Ce soir là, une bonne cinquantaine de participants ont dîné à la belle étoile, avec en fond sonore un “didgeridoo” joué par un australien tout ce qu’il y a plus blanc (il nous a expliqué très honnêtement que les Aborigènes de coin d’Australie ne jouent pas de cet instrument). La partie “étoiles” suivait. Malheureusement, le ciel était assez couvert ce soir-là, le bon vieil obstacle météorologique auquel personne ne peut rien. Et un télescope pour cinquante, cela ne donnait pas beaucoup d’occasions de découvrir les étoiles qui voulaient bien se dévoiler. Heureusement, la présence des nuages a dispensé les trois quarts des participants de faire semblant de s’intéresser à l’astronomie, pour se concentrer sur les excellents vins australiens servis. Du coup, la poignée d’amateurs a pu profiter au maximum des explications très intéressantes de la personne chargée de cette partie du programme de la soirée, même si la démonstration pratique était un peu limitée.

Hier soir, nous étions onze et notre guide a dégainé du matériel impressionnant. Tout en nous donnant des explications sur la toplogie du lieu, les sources de lumière inévitables (un puits pétrolier, les phares de voitures de locations quelques touristes qui rejoignaient encore le camping du coin après la prise de photos de Delicate Arch au coucher du soleil à Arches National Park), le voilà qui assemble et visse un engin motorisé, de diamètre important, environ 20 centimètres, mais pas très long, grâce à une technique de miroirs intercalés dont le détail m’a un peu échappé, les étoiles commençant à être bien visibles à l’oeil nu et mon attention étant par conséquent quelque peu partagée…. Il est guidé automatiquement par une console pré-programmée par Alex pour aller scruter plus de cent objets célestes : un petit pianotage sur la console et hop, le télescope pivote pour se braquer là où il faut.
Et à tour de rôle, avec l’aide d’un escabeau pour les plus petits quand l’oeillette était placée un peu trop haut, nous visionnons étoiles, nébuleuses, galaxies, et, clou du spectacle, Saturne incroyablement net avec ses anneaux et apparemment quatre lunes; j’en ai décerné deux, mais bon… À vrai dire, ce n’est pas si facile de regarder dans un télescope, il faut parfois quelques secondes pour bien voir et sur les sept choses à regarder, il y en a une que je n’ai pas réussi à voir du tout. Alex aurait pris le temps de recalibrer l’engin pour m’aider mais j’étais déjà bien contente de ce que j’avais pu découvrir et le ciel au-dessus de ma tête m’interpellait aussi de plus en plus.
En vérité, j’ai vu, une fois dans ma vie, un ciel plus profondément sombre qu’hier soir. C’était dans le Poitou rural, chez mes grand-parents français, une nuit de la mi-août, avec une véritable pluie d’étoiles filantes, magnifique. Près de Moab, ce ne sont pas les nuages qui jouent des tours, c’est simplement la chaleur qui voile très légèrement les choses.

Alex nous parle des constellations qui portent des noms différents dans différents endroits du monde. Assez sentimentalement, je me fais la réflexion que c’est réconfortant de retrouver la bonne vieille Grande Ourse, positionnée différemment que chez nous, mais instantanément reconnaissable néanmoins. Notre guide nous donne encore quelques implications puis nous explique qu’en tant qu’Apache, s’il s’en tenait au savoir de son peuple, il serait un peu embarrassé pour identifier les constellations qui nous sont familières. Et il nous montre comment, pour lui et les siens, la Grande Ourse est en fait inscrite dans une constellation beaucoup plus vaste représentant le foyer de la cheminée, avec la matriarche et le patriarche l’encerclant dans une espèce de grand arc.
Ce ciel étoilé familier et dépaysant en même temps restera longtemps imprimé sur mes rétines.